Action 6 : Gérer la crise sur le moyen-terme : quelles mobilisations des acteurs de la société ? (Pilote : Benoît Journé)



Les accidents nucléaires comme celui de Fukushima rappellent la nécessité de penser la gestion de la crise non pas uniquement sur les premières heures, mais également sur le moyen-terme (semaines, mois, années). Lors d’un récent voyage des maires de France auprès de leurs homologues japonais, ces derniers ont insisté sur leur sentiment d’abandon (de la part des institutions nationales) et de détresse, en particulier sur le moyen-terme. Des questions très concrètes affectant la vie quotidienne de leurs concitoyens restaient sans réponse : faut-il évacuer et comment ? Que consommer ? Comment s’approvisionner en produits de première nécessité (eau, lait...) ? Comment cultiver des sols potentiellement radioactifs ? Et qui mesure et informe sur cette radioactivité ?

Nous faisons l’hypothèse que la gestion d’une crise nucléaire sur le moyen-terme (situation post-accidentelle) nécessite l’articulation de moyens institutionnels nationaux de gestion de crise et de moyens locaux (moyens communaux, existants mais parfois non mobilisés car inconnus des acteurs institutionnels). Nous proposons d’analyser en détail, à travers plusieurs situations locales les dispositifs existants ou à construire qui pourraient supporter les échanges entre la sphère civile (et les populations) et la sphère institutionnelle. Deux types de situations seront analysées : une commune de grande taille ne possédant pas d’INB sur son territoire mais qui est concernée par le risque nucléaire et une commune possédant une INB.

Le premier cas sera représenté par la communauté urbaine de Nantes, qui constitue un premier exemple intéressant pour deux raisons : 1) Nantes est en pointe dans la gestion des risques majeurs (Plans Communaux de Sauvegarde) ; 2) comme plus de 99% des communes de France, elle ne possède pas d’INB mais reste fortement « concernée » par le risque nucléaire. Pour que les citoyens soient pleinement acteurs de la crise et qu’ils ajustent leurs comportements en fonction du risque réel, il faut leur donner les moyens de se représenter le risque ou de le visualiser. Cela suppose des chaînes de traduction de l’expert institutionnel vers les populations exposées au risque. Au-delà même des chaînes de traduction, l’enjeu est de gérer et d’anticiper la création d’un savoir « profane » qui devra s’articuler avec le savoir « expert ». Cela peut être supporté ou facilité par le développement de dispositifs socio-techniques de traduction et d’articulation des « expertises » (systèmes de mesure du risque, de cartographie, mais aussi de communication).

Dans une visée comparative, nous nous intéresserons aussi à des régions directement concernées par les INB, et plus précisément à la manière dont les dispositifs de gestion de la contamination radioactive intègrent les parties prenantes (CLI, ...) et la population. Une première étude pourra concernee la contamination des produits alimentaires, et leur gestion par les différents acteurs impliqués, ainsi que l’analyse des attentes des citoyens vis-à-vis de ces produits. Une seconde étude pourra concerner le déploiement de l’outil OPAL (Outil de sensibilisation aux enjeux Post-accidentels à destination des Acteurs Locaux), développé par l’IRSN et l’ANCCLI, qui vise à mettre à disposition des acteurs des territoires (notamment les élus) des cartes de zones « contaminées » au sens du CODIRPA (phases de test auprès des CLI de Marcoule, Saclay, Gravelines, Golfech).

Notre méthodologie est qualitative. Elle se décline en 4 phases :

1) réalisation d’entretiens avec les acteurs en charge de la gestion locale des risques, les associations de riverains, la préfecture et gendarmerie, les industriels concernés et les experts de l’IRSN ;

2) analyse des attentes des parties prenantes (élus, producteurs, industriels, consommateurs...) en matière de gestion des produits alimentaires contaminés suite à un accident nucléaire.

3) conception avec les acteurs locaux et institutionnels de la région nantaise d’un dispositif socio-technique de gestion de crise sur le moyen-terme, centré sur l’articulation à la fois entre les niveaux local et national et entre les niveaux institutionnel et citoyen (focus group, panel de parties prenantes, et accompagnement des acteurs lors de la conception, puis du développement des outils, puis analyse).

4) comparaison des dispositifs socio-techniques de gestion de crise de la communauté urbaine de Nantes avec ceux d’une autre communauté urbaine plus directement concernée par le risque nucléaire (Marcoule, Saclay, etc.).

L’action de recherche pourra déboucher sur des propositions d’applications (par exemple sur téléphone portable) supports aux chaînes de traduction et de communication qui vont des experts aux populations civiles. Son originalité est liée à l’approche conjointe des expertises institutionnelles et « civiles » lors de la gestion de situation de crise sur le moyen terme, dont il s’agit de comprendre les possibles modalités d’articulation.

Les résultats attendus concernent principalement les points suivants :

- articulation entre expertise civile (population et association – ex : CRIIRAD) et expertise institutionnelle (IRSN...)

- articulation entre acteurs locaux / nationaux

- ingénierie de supports socio-techniques à ces articulations,

- réflexion en collaboration avec une commune qui ne possède pas d’INB sur son territoire (ce qui représente 99% des communes de France).